Océane, co-fondatrice d’Éveil & Sens
Je pourrais vous dire que mon lancement en libéral a été pensé, murement réfléchi, organisé… Mais c’est faux. Mon lancement a été propulsé par une opportunité, une question : « après tout, pourquoi pas ? ». Je connaissais ce mode d’activité ; pendant mes études d’éducatrice spécialisée, plusieurs formateurs nous avaient évoqué cette possibilité, mettant en lumière une façon de répondre à un besoin grandissant face à un manque de place en institutions.
J’avais, depuis peu, intégré un réseau d’éducateurs spécialisés en libéral. Juste pour voir. Et un soir, une demande : « Quelqu’un aurait une disponibilité pour un enfant porteur de Trisomie 21? ». J’ai répondu, et tout s’est enchaîné très rapidement. Un premier contact positif avec la famille, et les démarches administratives en parallèle. De fait, je devais créer mon entreprise. En quelques jours, c’était officiel : j’étais éducatrice spécialisée en libéral.
Une fois la pression retombée, les questions sont arrivées. J’y ai fait face, et petit à petit, l’expérience y a répondu pour moi.
1 – Est-ce que je suis vraiment prête pour ça ?
En réalité ? Non. Nous ne sommes que rarement prêts à 100%. Il est impossible de tout anticiper, de ne pas douter, ni de se poser de nombreuses questions. Et c’est normal.
J’ai compris avec le temps qu’être prêt, c’est avoir juste la confiance qu’il faut pour oser faire le premier pas. J’étais formée, diplômée, je savais que je voulais continuer d’exercer auprès de personnes en situation de handicap, et j’étais entourée de ceux qui l’avaient fait avant moi.
Petit à petit, les questionnements ont laissé place à la confiance, et le sentiment que j’avais fait le bon choix : c’est ainsi que je veux continuer. J’ai accompagné cet enfant quelques mois, jusqu’à son entrée dans un SESSAD, demande que les parents avaient faite des mois auparavant.
Ma mission avait été claire : accompagner cet enfant dans l’attente d’une place en structure, afin de maintenir ses acquis, développer ses compétences, et surtout, pour cette famille, ne pas rester sans solution.
2 – Comment vais-je trouver suffisamment d’accompagnements pour en vivre ?
Cette question s’est rapidement posée. Mon premier accompagnement se passait très bien, je souhaitais continuer, mais évidemment, il n’était pas suffisant à lui seul. Au départ, j’exerçais en salariat à mi-temps en parallèle. Cela me permettait d’avoir une certaine sécurité financière certes, mais les limites se sont rapidement faites sentir : j’avais des horaires irréguliers, des roulements changeants, pas vraiment idéal pour proposer des rendez-vous hebdomadaires fixes aux familles que j’allais accompagner. De plus, j’étais de retour dans ma ville natale après plusieurs années ailleurs, années de mes études et mes premières expériences professionnelles.
Autrement dit, aucun réseau. Tout à construire.
Là aussi, c’est petit à petit que tout s’est mis en place, de manière naturelle : des échanges avec les autres professionnels qui accompagnaient les mêmes enfants que moi, une communication digitale ciblée, les premiers avis, le bouche à oreille qui se met en place… C’est d’ailleurs l’outil le plus puissant.
Comme un effet boule de neige, en un peu plus de 6 mois, je pouvais commencer à en vivre.
3 – Je quitte un poste avec une équipe, la possibilité de déléguer, comment vais-je faire, seule ?
Quand on exerce dans le social, on a l’habitude d’être en équipe. Partager ses doutes, demander conseil, prendre du recul ensemble… c’est naturel et tellement important pour accompagner au mieux. Alors l’idée de me retrouver seule face à toutes les situations m’inquiétait. Comment gérer les doutes, les cas complexes, l’isolement du quotidien ?
J’ai eu la chance, au moment de me lancer, d’avoir à mes côtés Julien, moniteur-éducateur puis éducateur spécialisé lui aussi. Nous avons démarré ensemble, avec cette précieuse possibilité d’échanger au quotidien, de prendre du recul, de réfléchir à deux sur les situations, sur les choix à faire, sur les émotions traversées. Avec lui, je n’étais pas seule. Et très vite, j’ai compris que ce n’était pas seulement un confort : c’était une nécessité.
Se lancer en libéral, ce n’est pas devenir un électron libre coupé de tout. C’est construire sa propre équipe, petit à petit. Des collègues éducs, des psychomotriciens, des orthophonistes, des psychologues…
Peu importe leur titre : ce qui compte, c’est de s’entourer de personnes avec qui partager, confronter, enrichir sa pratique. Aujourd’hui encore, je suis persuadée que personne ne devrait avancer seul dans ce métier.
Se créer un réseau, une équipe autour de soi, c’est protéger son énergie, cultiver son discernement, et surtout, continuer à grandir professionnellement sans s’épuiser.
4 – Est-ce que je vais réussir à trouver un équilibre entre ma vie pro et ma vie perso ?
Avant de me lancer, je rêvais de liberté. Pouvoir organiser mes journées, prendre du temps pour moi, choisir mon rythme… Mais au fond, je me demandais : est-ce que je vais réussir à ne pas me laisser déborder ?
Cette peur n’était pas infondée. Quand on débute en libéral, chaque demande semble précieuse. Chaque créneau semble devoir être rempli.
Et puis, il y avait aussi ce besoin que je n’arrivais plus à taire : je ne voulais plus subir des horaires d’internat. Enchaîner des journées sans repère, travailler tôt le matin, tard le soir, parfois les week-ends… ce n’était plus envisageable pour moi.
Au début, j’ai parfois accepté des horaires décalés, pensant que je n’avais pas vraiment le choix. Mais petit à petit, j’ai compris que liberté ne voulait pas dire s’oublier. Il fallait que je sois au clair avec ce que je voulais vraiment construire.
J’ai commencé à poser mes propres limites. À réserver des jours où je ne travaille pas. À organiser mes horaires en fonction de mes besoins, et pas seulement de ceux des autres.
Aujourd’hui, avec une vie de famille à concilier, je mesure pleinement la valeur de cette liberté. Pas une liberté parfaite, pas une organisation figée… Mais une vraie souplesse, qui me permet d’être présente là où je choisis d’être, au travail comme à la maison.
5 – Qu’est-ce que je risquais vraiment ?
Je me suis posé cette question plusieurs fois, souvent sans y trouver de réponse toute faite. Qu’est-ce que je risquais, en me lançant seule, sans certitude, sans garantie ? De ne pas réussir à trouver assez de familles ? De me sentir trop seule parfois ? De devoir ajuster mes choix en cours de route ?
Oui, c’était possible. Tout comme il était possible que le libéral ne soit pas ce que j’avais imaginé.
Mais plus je tournais autour de ces peurs, plus une autre idée prenait de la place : Et si je passais à côté d’une belle opportunité ?
Est-ce qu’il valait mieux continuer à exercer dans un cadre qui ne me ressemblait plus vraiment ? Laisser mes envies au second plan, par peur de sortir du chemin connu ? Ou de m’installer dans un confort qui, au fond, n’en était plus un…
Alors j’ai tenté. Pas en ayant toutes les réponses, pas en étant sûre de moi à chaque étape.
Mais avec cette conviction discrète que je devais au moins essayer.
Aujourd’hui, avec du recul, je sais que ce choix m’a permis de retrouver une forme de liberté, d’inventer un quotidien plus aligné avec moi-même. Ce n’est pas une vie parfaite, ni un parcours dénué de doutes, mais un chemin qui me correspond tellement plus.
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5 ans plus tard, si je devais répondre à une dernière question, ce serait : est-ce que je le referai ?
Et sans hésiter, je répondrais oui. Pas parce que tout a été simple, ni toujours évident. Mais parce que ce choix a changé ma façon de vivre mon métier, et m’a permis de retrouver du sens, à ma manière.
Avec le temps, j’ai eu envie d’aider d’autres professionnels à franchir cette étape, à leur rythme.
Accompagner celles et ceux qui souhaitent se lancer à leur tour est devenu une autre manière pour moi de faire vivre ce en quoi je crois.
Si vous ressentez l’envie d’explorer cette voie, sachez qu’il existe des chemins, des soutiens, et surtout, des façons de construire votre projet sans être seul(e).
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